Fleur de cerisier

Fleur de cerisier

[30 Août] Monsieur, votre fille est folle !

Au moment où je vous parle, je suis dans un immense champ. Des épis de blé se balancent au grès du vent et s’étendent à perte de vue. Mais je ne suis pas seule, perdue dans cette immensité. Près de moi, j’aperçois Rosamunde. C’est une adorable petite fille, que j’ai inventée quand j’avais dix ans. Depuis ce temps, c’est mon amie. Elle est la seule qui me connaisse vraiment. Dans les moments insupportables, elle m’attend, silencieuse, comme une ombre. Mais je n’ai jamais pu la toucher. A chaque fois que je m’approche un peu trop près, elle disparaît. Je suis donc obligée de me satisfaire de la situation, même si j’aimerais beaucoup plus. Mais j’ai toujours eu besoin de toucher pour ressentir les choses. Avec Rosamunde, c’est très difficile. Je ne suis jamais arrivée à connaître ses sentiments. Mais je me suis habituée à sa présence, mystérieuse, presque fantomatique. Soudain, le vent se lève. Plus un bruit ne se fait entendre. Tout le champ retient son souffle. Je suis triste car je sais que Rosamunde va disparaître. Chaque fois que l’air s’agite, elle me quitte. Je n’ai jamais vraiment su pourquoi. Le vent a toujours annoncé son départ. Je me retrouve seule et je n’aime pas ça. J’ai peur de la solitude.

Le vent disparaît comme il est apparu. Les oiseaux se remettent à chanter. Un chat coure dans les herbes. Il essaie d’attraper un papillon. Il se retourne vers moi et me regarde. Il m’invite à le suivre. Un énorme sourire apparaît sur son visage. Je n’ai jamais apprécié les gens qui sourient. Ca me met très mal à l’aise. Je détourne les yeux. Et là, je vois Jupie, ma Jupie qui nous a quittés bien trop tôt. Il faut dire que quand elle est partie, mon monde c’est écroulé. C’est là que j’ai découvert mon petit coin de paradis. Elle me regarde avec ses yeux remplis d’amour, ceux qui me font prendre conscience que j’existe au moins pour quelqu’un. Je l’aime de tout mon cœur. Elle fait partie de moi, et réciproquement. Nous ne formons qu’un, un esprit dans deux corps différents. Mais tout à coup, elle tourne la tête, et s’éloigne en courant. Je l’appelle, mais elle ne me répond pas. Je me retrouve une nouvelle fois seule, abandonnée par le seul être au monde que j’estime plus que moi-même. Il n’y a plus que moi dans cette immense champ. Le chat aussi est parti. Les herbes hautes m’entourent, m’étouffent. Je me sens petite, minuscule même. Mes paupières se font lourdes et je défaille. Je me sens tomber, légère comme une plume. Tout devient flou autour de moi. Puis c’est le trou noir.

*

Mes sensations reviennent. Je prends conscience de mes jambes, de mes bras, de ma tête et de mon corps entier. Je sens que ce dernier repose sur quelque chose d’assez dur. Je sens mon propre poids et l’effet de la pesanteur. Je sens mon sang circulant dans mes veines. Je sens mes muscles. Et petit à petit, je perçois les sons. J’entends un bip régulier. Et des voix. Elles sont fortes. Très fortes. Mais je ne comprends pas ce qu’elles disent. Je veux savoir, mais mon corps ne réagit pas. Je me concentre sur mes yeux. Ils sont ce qu’il y a de plus précieux. Sans la vue, je ne suis rien. J’essaie de soulever mes paupières, sans grand succès. Mais après plusieurs essaie. J’arrive à soulever un petit peu les paupières. Je distingue deux silhouettes. Une grande, forte et musclée. Et l’autre, petite, bossue, drapée de blanc. Je me concentre un peu plus. Je veux savoir ce qu’il se passe. Pendant ce temps, mon ouïe s’affine. J’arrive à distinguer quelques mots comme « docteur », « ma fille », « malade ». Ce dernier mot est le déclencheur. Mes yeux s’ouvrent en grand.

« Docteur, qu’est-ce que vous avez fait à ma fille ?
- Nous avons sécurisé la pièce.
- Mais pourquoi l’avoir attachée ? »

Attachée ? Je suis attachée ? En effet, en regardant bien autour de moi, je remarque que je suis allongée, les mains attachées aux barreaux du lit. Je ne comprends pas la situation. Pourquoi je suis attachée. Qu’est-ce que j’ai fait ? Mais je ne peux pas poser la question. Je n’arrive pas à parler. Aucun son ne sort de ma bouche.

- Votre fille est dangereuse, monsieur. Dangereuse pour les autres mais aussi pour elle-même. Monsieur, votre fille est folle ! »

Non, ce n’est pas possible. Je m’agite. Je tente désespérément de me dégager de mes entraves. Mais c’est peine perdue. J’essaie quand même de me dégager. Soudain, je sens que quelque chose me perce la peau. Un liquide chaud en sort. Je ne sais plus pourquoi je m’agitais. Je me sens bien dans ce lit. Mais quelque chose me dérange. Dans un coin de mon esprit, un mot clignote. Folle. Mais je ne me rappelle plus ce qu’il signifie.

« C’est pour son bien que nous faisons cela, monsieur. »

Mon père se met à pleurer. C’est la première fois que je le vois dans cet état. Ca me touche vraiment. Mais la raison m’en échappe complètement. 

« Monsieur, venez avec moi et allons faire un tour dans le jardin. »



30/08/2014
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